La publication de la NBS a donné lieu à un échange entre un membre de l'équipe de traduction(L'Occidental) et un pasteur iranien(L'Oriental). Vous pourrez à la lecture de cet échange vous faire idée des différentes possibilités des Textes Originaux.
Andronicus Khandjani
Bonjour,
Je suis un serviteur de la Parole en Iran. Je n'ai pas eu l'occasion de lire "la Nouvelle Bible Segond"( je suis les évolutions par internet) mais j'ai par le biais de divers sites me faire une idée de ce qu'elle pouvait représenter.
Étant un chrétien non dénominationnel, j'ai pu, grâce à l'aide de Dieu me faire une idée que je qualifierai d'"indépendante" de l'Ecriture. Mon expérience a été a la fois enrichissante même si le trouble de la rencontre avec l'Ecriture s'y est mêlé, au cours de mon adolescence.
J'ai vécu entre l'Orient, l'Afrique et l'Occident.
J'ai pu consulter de nombreuses critiques de la Bible, et mes recherches m'ont conduit a des échanges avec des égyptologues, des assyriologues, des iranologues...Ceci pour dire que je suis au fait des différentes critiques constitues contre la Bible.
Tout en admettant que certaines notions sont a revoir, j'ai la nette impression que les traducteurs postmodernes de la Bible ignorent le phénomène oriental. L'Orient est conservateur, on s'y frappe encore la poitrine, on préfère toujours que la première fille se marie...
Vous traduisez almah, par jeune femme alors que pour nous l'idée "jeune fille", en persan dokhter, renvoie a la virginité. On l'utilise même comme euphémisme. En optant pour une traduction littérale, vous ignorez la puissance suggestive du mot dans l'esprit orientale, ce faisant vous appauvrissez le texte. Autre exemple, je traduirais le terme arabo-persan "ghiamet" par résurrection, alors que vous utiliseriez "relèvement" ou quelque chose de ce genre. La racine amn, renvoie a l'idée de fidélité, de sécurité, de foi. Je souligne ces nuances du mot quand je prêche sur la foi, l'Occidental ne peut le faire aussi immédiatement même si les mots foi et fidélité ont la même racine.
La Bible a été écrite dans un pays a la croisée de l'Afrique et de l'Orient. La façon de raconter certains récits me rappelle un peu les méthodes de transmission encore en vigueur parmi les ethnies bantoues de l'Afrique.
J'estime que la soumission des spécialistes et biblistes occidentaux aux mêmes méthodes de travail impose une "pensée unique" dans la traduction de la Bible. Cela est fort regrettable car, l'Occidental ne peut prétendre au monopole de la connaissance de l'Orient ancien :nous avons avons, en tant d'héritiers de ces vielles cultures conservatrices notre mot a dire a ce sujet même si nous respectons l'érudition caractéristique de votre travail.
Respectueusement votre
L'Oriental
*****Réponse*****
Cher ami,
East is East and West is West... vaste question!
J'ai eu la chance de visiter votre beau pays. Malheureusement ma connaissance du farsi n'a guère dépassé le domaine culinaire (très riche, il est vrai!)...
Rien de tel, pour un Occidental dont la culture littéraire et artistique comporte forcément un certain "rêve d'Orient", qu'un voyage en Orient réel pour prendre brutalement conscience de son occidentalité!
Ce détail personnel mis à part, vous avez parfaitement raison: la NBS est une entreprise typiquement occidentale; bien que destinée à l'ensemble de la francophonie, avec une consultation assez large des lecteurs potentiels avant parution, elle a été réalisée par une équipe française, et les spécialistes consultés étaient surtout européens.
Qu'est-ce qui caractérise la lecture orientale et la lecture occidentale de la Bible?
A mon sens (occidental, donc), l'Occident recherche avant tout des idées, auxquelles il tend à appliquer une logique exclusive: ou bien ceci, ou bien cela. Son domaine d'excellence est la critique rationaliste et historique. Mais le fondamentalisme est aussi un de ses sous-produits. A mes yeux les fondamentalismes musulmans, par exemple, regardent souvent l'islam à la lorgnette réductrice d'un exclusivisme de type occidental (d'ailleurs cela remonte peut-être très loin: la récupération d'Aristote par le monde arabe qui l'a transmis à l'Occident y est peut-être pour quelque chose). Traditionnellement, l'Orient pratique une lecture plus liturgique (ou poétique) des textes. Il ne leur pose pour ainsi dire jamais la question "oui ou non", il peut les répéter (ou plutôt les chanter) maintes fois sans s'interroger sur leur "sens" et sur leur "vérité". Le sens s'impose, ou plutôt germe, fleurit et prolifère, à force d'imprégnation, de résonance et de répétition.
Ce n'est pas par hasard que la Réforme protestante a laissé largement insensibles la quasi-totalité des Eglises d'Orient. Elle correspondait à une façon tout à fait occidentale (ultra-occidentale, disait mon professeur de dogmatique) de poser les questions. La problématique protestante ne s'est introduite en Orient que de l'extérieur, par le biais des missions modernes ou par la mondialisation contemporaine de la culture occidentale, qui d'une certaine façon les prolonge.
Après ces considérations évidemment trop générales, j'en viens aux problèmes de traduction concrets que vous évoquez:
1) En fait la NBS a gardé la traduction "jeune fille" pour `alma (négociation serrée entre les tendances "fondamentalistes" et "critiques" sur ce point!). Je signalais seulement dans mon article que tel n'était pas le choix initial de Louis Segond, mais celui de la révision de son oeuvre réalisée après sa mort, en 1910.
A mon sens, la notion de "virginité" ne joue strictement aucun rôle dans le texte d'Esaïe 7. (Au passage, "jeune fille", aujourd'hui au moins, n'implique pas de jugement sur ce point: en français on pouvait dire naguère "une vraie jeune fille", dans un sens euphémistique très proche de l'emploi de dokhtar; mais, dans l'usage actuel, une "jeune fille" reste une "jeune fille" indépendamment de son comportement sexuel.) La question ne se pose qu'en raison de l'utilisation faite de ce texte, traduit en grec (Septante) avec le mot parthenos qui, lui, signifie réellement "vierge", pour le récit de la naissance de Jésus selon Matthieu. Le vrai problème est de savoir si les chrétiens peuvent ou non lire le texte d'Esaïe indépendamment de celui de Matthieu. A cette question les Eglises d'Orient, en général, tendent à répondre non: toute la Bible est lue dans une perspective chrétienne assumée, ce qui se défend dans la mesure où il s'agit d'une lecture liturgique et poétique, pratiquée dans un cadre donné qui est celui de l'Église, et qui ne s'impose pas hors de ce cadre (les juifs, par exemple, ont parfaitement le droit de lire le texte autrement). Les Églises occidentales, elles, répondent oui, parce qu'elles distinguent une exégèse "scientifique" commune à tous, croyants de toute espèce et non-croyants, de la lecture liturgique ou catéchétique. Or dans l'exégèse scientifique chaque texte doit s'expliquer en fonction de son contexte historique et littéraire propre. Dans cette perspective, selon moi, "jeune femme" serait tout de même préférable en Esaïe, surtout parce que la formule peut s'appliquer à une femme mariée (par exemple une des épouses royales).
2) En traduisant les deux familles de termes grecs par "(se) réveiller" ou "(se) relever", la NBS ne fait que rendre justice au vocabulaire grec de la "résurrection", qui n'est pas a priori religieux ni limité à un passage (concret ou métaphorique) de la mort à la vie. Cela permet, par exemple, de percevoir les harmoniques des textes évangéliques qui, pour dire "lève-toi", emploient (certainement pas par hasard!) le même vocabulaire. Je suis un peu surpris de votre objection, car (selon ma femme) en farsi "ghâmiyat" ne serait pas non plus restreint à l'emploi religieux (il serait susceptible notamment d'emplois politiques, au sens de "soulèvement", "[in-]surrection", etc.). (Question étymologique: si ghâmiyat est d'origine sémitique, serait-il apparenté à la racine hébraïque qum, qui veut simplement dire "se lever", "se dresser", "se mettre debout"?)
J'ajouterai un élément pour compliquer un peu le débat (!): à mon avis la Bible n'est pas seulement un livre oriental, surtout si par Bible on entend la Bible chrétienne, composée de l'Ancien ET du Nouveau Testament. En effet, une bonne partie de la problématique du N.T. (écrit en grec) s'inscrit dans des catégories hellénistiques (notamment l'Evangile de Jean ou l'épître aux Hébreux) ou romaines (p. ex. la composition des épîtres de Paul qui correspond grosso modo à la rhétorique latine). Pour ne prendre qu'un exemple, l'opposition logique de la foi et des oeuvres est à peu près impossible à traduire en hébreu dans la mesure où émouna (de 'mn), qui correspondrait à "foi", est un terme éthique (= fidélité, probité, etc.) qui caractérise un mode d'action (= des oeuvres, ma`asoth]. Une proposition comme "justifié par l'émouna, en dehors des ma`asoth" serait un non-sens...
J'espère que ces quelques réflexions, qui n'imposent aucune conclusion, seront de nature à alimenter les vôtres! Merci en tout cas de votre intéressant message.
Amicalement
L'Occidental
*****réponse*****
Bonjour,
Je vous remercie pour cette réaction. Je vous suis suis quand vous quand vous parlez de l'approche subjective de l'Orient par rapport au phénomène religieux et d'ailleurs même politique.
Nous sommes très conformistes, et partant, conservateurs. Je l'admets.
Ceci étant, je n'irais pas jusqu'à dire que nous lisons les choses sans nous interroger sur leur sens. N'oublions pas qu'il s'agit de nos langues et que celles-ci se doivent de véhiculer les idées que nous échangeons. Chaque mot a donc son sens, forcément.
Je ne prétends point à l'érudition qui est la vôtre.Mais je fréquente les Écritures de ma tendre enfance. En même temps, dois-je le signaler, entre parenthèse, mon père avait une lecture libérale de la Bible.
Au lieu de prier,« Il méditait sur la grandeur et les voies de Dieu», un peu comme Tillich. En danger, il récitait des psaumes mais haïssait le coran de son enfance. Sa conversion est intervenue assez tardivement, après sa rencontre avec Christ,« une évidence qui transcende le fait scientifique» selon ses propres termes.
Je vais tenter avec l'outillage scientifique assez réduit qui est le mien, avec l'aide de Dieu de répondre à vos remarques.
Quel est le mot hébreu pour « vierge » ?
La réponse qui semble s'imposer est betouleh.
Je me permettrais sans être érudit de vous faire remarquer que dans le premier texte qui se présente à moi, relativement au mariage d'Isaac, l'auteur sacré se donne la peine de préciser que Rebecca était une « betouleh » et qu'« aucun homme ne l'a connue ». Cela peut-être une question de style mais un autre verset semble inviter à croire que le mot betouleh n'a pas eu toujours le sens exclusif de vierge. En effet, Joël semble l'employer dans un sens large :
« Pleure, telle une betouleh qui se lamente sur le mari (baal) de sa jeunesse ». (Joë 1.8)
j'admets encore que le terme « mari », peut selon la coutume orientale, qui anticipe sur tout, se rapporter au « fiancé», mais le mouvement du texte semble inviter à croire qu'il s'agit d'une jeune femme qui aurait perdu son mari.
Les LXX traduisent almah par « parthenos », terme qui suggère la virginité. La question a été soulevée par Rashi, et les modernes et les postmodernes semblent se conformer, ou du moins, rallier l'avis du commentateur juif à ce sujet. Doit-on se conformer à la lecture du rabbinisme post-néotestamentaire ? Je ne m'avancerais pas dans ce sens.
Ici encore, je tiens à rappeler qu'almah n'a jamais été utilisé dans le sens d'une femme qui aurait eu des rapports avec un homme. Dans les Psaumes, il est questions « d'alamot», ce qui peut se traduire par « (voix) de vierges ou de jeunes filles ».
Rashi lui-même traduit dans les Cantiques 1.3 et 6.8 alamot par vierges.
Il semble donc que la position des « critiques » porte dans une certaine mesure la trace d'une longue controverse entre chrétiens et Juifs sur le sujet. Peut-elle être alors objective ?
Si l'éymologie, « cachée" par mot du mot s'avère juste, nous aurions une preuve supplémentaire du fait qu'almah a signifié, du moins au début, vierge. J'attends votre avis à ce sujet.
Je tiens tout de même à signaler que les traducteurs des LXX et Matthieu devait connaître l'hébreu et les différentes nuances du mot.
Il va de soi que celui qui se méfie, rationalisme obligeant, du surnaturel optera plutôt pour la lecture adoptée par le judaïsme actuel.
On peut supposer que le terme s'adressait aussi à une fiancée-épouse royale bien connue , laquelle préfigurait Marie, la fiancée-épouse de Joseph. Isaïe fait donc passer un double message par cette prophétie. Cet enfant qui doit naître semble être Ezéchias, mais il question, plus loin, d'un prince davidique qui sera appellé« Merveilleux Conseiller, Dieu Fort ». Selon Isaïe, le règne de ce prince n'aurait pas de fin. Il est également question de la « Racine de Jessé» « qui sera comme un étendard pour les peuples ».
2. Le terme ghiamat, qui est d'origine sémitique et qui vient d'une racine qui veut dire se lever, lever, a exclusivement un sens religieux. Il se rapporte presque exclusivement à la « Grande Résurrection ». On utilisera ce terme pour évoquer une situation qui rappelle les scènes de la Grande Résurrection.
Par contre le terme ghiam, qui lui est apparentée, est susceptible d'un triple sens. On dira, « ghiam konid », c'est-Ã -dire « levez-vous », mais aussi dans le langage ecclésiale « ghiam Issa Messih », la résurrection de Jésus Christ, « Eid Ghiam » la fête de la résurrection, entendu de Christ. Dans le langage politique il s'agit d'un soulèvement, d'une insurrection.
Dans le deuxième cas, je n"hésiterais pas à traduire par résurrection. J'estime que Paul et les évangélistes n'auraient hésité à utiliser le terme résurrection s'ils écrivaient en français. Je crois du moins que c'est dans ce sens que les Athéniens ont compris Paul.
3. Emouna correspond au terme arabo-persan emanet. Il s'agit comme vous le soulignez de la fidélité, de la probité. Ceci étant, je signalerais d'abord que l'exégèse juive a tâtonné durant les siècles avant de formuler une réponse.
«Le voici plein d'orgueil, il ne connaît pas la droiture,
mais le juste, le tsediq, par son émouna vivra»
Dans un premier temps, il a été question d'étendre la portée de la négation au deuxième membre de la phrase ou d'y voir un mieux que rien : A pour qui le joug de la Loi serait trop, il serait concédé de ne plier qu'à un seul des commandements, savoir la confession de la foi monothéiste. L'affirmation est en elle-même éloquente du sentiment de gêne des interprètes juifs.
D'ailleurs, je tiens à signaler que ce verset est dans la logique de Bereshit 15 :6 « וְהֶאֱמִן, בַּיהוָה; וַיַּחְשְׁבֶהָ לּוֹ, צְדָקָה."
Il est vrai que l'on a tendance à assimiler l'emouna-emanet aux oeuvres. Il est en est d'ailleurs de même pour la sediqa, l'aumône pieuse. Ceci n'exclue pas toutefois l'importance des mobiles du coeur qui s'expriment par des actes, les oeuvres de la foi « .
tou ergou thV pistewV ..», . Il n'est nécessaire d'aller à Jacques pour chercher les oeuvres de la foi, sans lesquelles la foi est morte. Paul en parle déjà.
Amitiés
L'Oriental ***** réponse*****
Cher Ami,